Gérard Gasquet, la présence de l’invisible.
Ce que sera notre chemin personnel, celui de notre passage sur cette planète, elle le sait. Le fil rouge d’une existence est là, entre ses mains. Dans son sourire qui se dessine, c’est une question de vision de nous-mêmes, comme si nous voulions à tout prix connaître le secret détenu par elle et ses deux sœurs, les Fileuses de vie et de destin, mais nous ne sommes que des humains et les Moires sont bien au-delà de cette enveloppe charnelle qui nous emprisonne.
Le fil rouge de la vie, c’est aussi sa compagne, l’âme, cette âme qui s’attarde dans un regard presque détaché, dans un geste comme suspendu, dans une chevelure qui s’envole vers le ciel, dans un départ esquissé, dans une présence physique qui n’est plus et qui, pourtant, rassure et protège.
Et ce rouge qui revient comme un signe, le rouge du fil, des peignoirs, des ongles, d’une robe, des gants, d’un rideau, d’un canapé, comme le rappel visuel de la Moïra, la part échue à chaque être, la loi de l’univers, ce court moment qui est nous est donné d’exister physiquement, l’incarnation temporaire de l’âme qui, elle, survivra à toutes nos représentations.
Et ces mains qui expriment cette intense vibration intérieure qui voudrait tellement d’espace que le corps ne peut lui accorder, ces mains qui se cherchent, qui se ferment, qui enserrent, qui libèrent, qui jouent, qui se cachent, qui veillent, ces mains, frontière ultime de cette onde incandescente qui nous parcourt sans répit.
Et ces regards qui, du spleen à l’interrogation, de l’introspection à l’impassibilité, de la certitude à la connivence, nous entraînent sur les traces d’un ancien brasier qui s’est mué en un apaisement consenti même si, sous la cendre des désirs enfouis, le feu couve et voudrait ne jamais s’éteindre.
Gérard Gasquet, c’est le regard intérieur qui rejoint l’essentiel, ce sont les mains en quête d’une autre dimension, c’est l’âme entièrement dévoilée. La nudité, cet habit primitif, n’est qu’une illusion, l’essence n’est visible que seulement si nous pouvons nous mettre totalement à nu, sans aucune retenue. Ensuite, une fois franchies les bornes corporelles, ce qui nous anime prend peu à peu forme et irradie notre contemplation. Alors, dans chaque toile, c’est l’âme qui veut toute la place que notre abandon est en mesure de lui accorder.
L’âme est aussi là, toute proche, près de la grotte originelle, au détour d’un sentier de pierres habitées et de mousse exubérante, d’arbres sentinelles et de fougères frémissantes, un lieu ruisselant de mémoire, rarement emprunté car il faut le chercher longuement dans les méandres du passé, du présent, du futur, un lieu dont les Moires sont les éternelles et sereines gardiennes.
Gérard Duchêne, Juillet 2017